Ne place t'on pas trop d'espoirs dans le vin ? N'attends t'on pas trop de la dégustation ? Nos aspirations à l'absolu sont-elles vraiment à leur place lorsque l'on ouvre une bouteille et que l'on pense y trouver un avant-goût du paradis ? Un homme dont j'ai oublié le nom et que j'ai seulement croisé un jour par hasard dans une caserne, m'a pourtant profondément marqué par quelques paroles bien senties. Il m'a dit que selon lui, l'aventure n'était jamais là où on se trouvait, qu'on rêvait de l'aventure plus qu'on ne l'expérimentait. L'aventure était toujours plus loin, elle était toujours pour demain. Le lieutenant Drogo dans le désert des Tartares ne dit-il pas la même chose ? Et si l'on appliquait ce pressentiment à l'art de la dégustation ? La belle expérience envoûtante n'est-elle pas toujours qu'une promesse ? Aussitôt que l'on a trouvé un vin excellent, peut être même un court instant suprême, n'est-il pas pas déjà détrôné par l'illusion qu'un autre puisse être meilleur ? Il suffit bien souvent de déguster le même vin qui nous a ému, mais plus tard et forcément dans un autre contexte, pour que la reproductibilité de l'expérience s'avère impossible.
Mais alors, comment juger les vins et surtout comment se fier au jugement des autres et notamment lors des concours et autres compétitions oenologiques, lors desquelles les vins sont soumis à des dégustations successives lors de tours de sélection. Je ne dis pas cela au hasard, car la communication des commentaires de dégustateurs lors d'un concours local de mon appellation, m'a permis de saisir toute la relativité du jugement humain. Fait très rare, les organisateurs de l'événement par un soucis louable de transparence, ont communiqué à chaque concurrent les commentaires individuels du jury lors des deux tours de dégustation. Evidemment on se précipite pour connaitre l'avis de tel ou tel, on analyse, on cherche à comprendre les raisons du succès ou de l'échec du vin. Dans mon cas, j'ai été interpellé par le jugement d'une personne, professionnel du vin et de la dégustation. Cette personne a encensé mon échantillon lors du premier tour avec des éloges et des termes descriptifs très précis tels que "fruits ronciers, notes mentholées fraîches" puis lors du tour suivant l'avis est inversé, le vin devient exécrable et soudain on suspecte un problème de "logement", critère invoqué lorsqu'on suspecte le vigneron d'avoir laissé séjourné le vin dans une cuve sale ou dans de vieilles barriques mal nettoyées. Etonnant non ? comme dirait le regretté P Desproges. Pas tant que cela pourtant, si l'on a dégusté comme moi des séries d'échantillons pour les agréments ou pour des concours et que l'on sait bien qu'après des séries de quinzaines de vins et malgré des pauses, le palais s'émousse, la langue devient lourde et les sens fatigués. La dégustation est aussi un sport d'endurance qui dépend des conditions de forme du dégustateur, des conditions locales, de la durée de l'épreuve et de bien d'autres paramètres. Alors pourquoi continuer à soumettre ses vins à toutes ces grands-messes ? Et bien à cause de vous les consommateurs, qui ne vous fiez pas suffisamment à votre palais, aussi imparfait mais aussi merveilleux que celui des professionnels mais qui aura l'avantage quand vous goûterez un vin de ne pas avoir été épuisé par un abattage de gorgées rapidement senties puis passées dans la bouche après une légère rétro-olfaction . Je ne disqualifie pas malgré tout les prescripteurs que sont les professionnels, car ils ont des talents de découvreurs, il goûtent mais ils étudient aussi, ils interrogent, ils visitent, bref ils analysent le vin et son contexte d'élaboration. Mais rien ne remplacera l'expérience que vous vivrez en ouvrant la bouteille, qui ne sera peut-être pas reproductible, mais qui participe de notre art de vivre, du plaisir du partage, de la controverse, de l'argumentation, de l'intellectualisation de processus sensoriels ou tout simplement de la joie de la commensalité. Je vous invite donc à varier vos expériences, à écouter les professionnels de temps en temps mais surtout à vous fier à VOTRE palais, à assumer VOS goûts et à ne pas déléguer perpétuellement à d'autre le jugement sur le vin, qui n'est en somme que du jus de raisin fermenté, dont la consommation est une source de plaisir et de réconfort quotidien ou occasionnel. Alors dans ce cas, on peut parler d'art de la dégustation tandis que parfois lors des compétitions, remplis d'enjeux commerciaux, qui sont devenues des activités économiques rentables, on peut parfois parler de "déboires" tant on demande trop et trop souvent à des dégustateurs qui ne peuvent pas et ne doivent pas être des machines à juger.
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