L'héritage insoupçonné du travail

Trois photos illustrent deux propos tous deux liés au sol et  à ceux qui le travaillent.

 

La première image, celle du haut, montre une incongruité surgie de la terre, une pierre emprisonnée par un lien de fer qui maintient la tension d'un piquet de bout.  Une petite erreur de trajectoire lors de l'entrée dans un rang m'a conduit à arracher ce fil de culée et à exhumer cette pierre. Cela m'a instantanément paru étrange de trouver encore de tels témoignages de pratiques révolues depuis longtemps. La parcelle en question a été plantée en 1958 suite au sinistre gel de 1956, à une époque où les chevaux servaient encore pour le labour, comme me l'avait indiqué l'ancien propriétaire, lui-même ayant participé à la plantation pour ses 13 ans. Quelle émotion de boire un vieux millésime lorsque l'on pense que bien des vendangeurs sont déjà passés de vie à trépas et qu'on peut malgré tout encore sentir physiquement un héritage de leur travail. Quelle émotion également de sentir que la vigne elle-même passe les générations et devient une témoignage quasi-archéologique des savoir-faire. Enrouler un fil autour d'une pierre, plus personne ne songerait à le faire, on achète maintenant des ancrages avec des soucoupes ou des systèmes de harpon. Cette pierre est un vestige d'un temps où tout allait lentement et où l'autonomie était bien plus grande que maintenant. La vigne elle-même date d'une époque où le clonage était de la science-fiction et dont la richesse génétique peut encore et doit encore servir pour contribuer à la diversité des goûts.

 

 

Les photos du bas témoignent des soucis du présent avec des pratiques elles immuables liées à la concurrence de l'herbe sur les sols pauvres.

Au mois de juin, le temps passé à la vigne surpasse grandement celui consacré au chai. Quand de surcroît, comme cela est mon cas, on souhaite laisser une couverture herbeuse automne et hiver sur la terre, le travail du sol prend une place colossale au printemps. La vigne ayant quasi-intégralement été gelée fin avril, il faut impérativement donner la priorité à ses racines et profiter de la dégradation des végétaux enfouis superficiellement pour relarguer les éléments minéraux.  Lorsque l'on n'utilise pas  de désherbants, cette opération est longue et délicate. L'outil  tracté qui sert à retirer la terre sous le rang, s'appelle une charrue décavaillonneuse, tiré du nom "cavaillon" qui désigne la partie de terre qui recouvre l'axe du rang. Comme on le voit ci-dessous, sur une terre bien travaillée, cela se pratique aisément tandis qu'en bas à droite, sur une vigne en quatrième année, ayant souffert de la sécheresse l'an dernier et dont le sol était si dur, qu'il n'a été possible que de tondre l'herbe, il faut lutter contre de hautes herbes bien implantés près des pieds encore fragiles et facilement emportés par un petit écart de conduite, une seconde d'inattention.

Ne pas désherber chimiquement implique donc des journées entières sur le tracteur, à rouler au ralenti, le cou perpétuellement vrillé et  une main soudainement pourvue de la vision qui me guide comme par magie .

 

Il n'est donc pas temps de se reposer, quand bien même 2017 réserve peu de récolte. Il n'y a pas moyen de sauter un millésime et le peu à récolter cette année se fera au prix d'un travail disproportionné.

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