Après la ferme aux 1000 vaches, les vignes aux 1000 hectares ? (partie 2)

Les délices de la massification.

La conséquence de l'augmentation de la taille des vignobles a tout autant des conséquences sur la philosophie de production (vu précédemment)  que sur les modes de consommation. Là où les châteaux et les domaines offrent une constellation de références et de goûts différents, les "marques" qui émergent avec la concentration du foncier font naître des réflexes pavloviens et consuméristes. Il suffit pour illustrer mon propos de prendre l'exemple emblématique dans le sud-ouest du domaine de Tarriquet. Tarriquet est une propriété  dont la production énorme, liée à une surface avoisinant justement les fameux 1000 ha, a donné naissance à une marque, voir quasiment un concept. Fréquentant les cavistes de ma région, j'ai souvent l'occasion d'observer le comportement des clients à la recherche du "Tarriquet". Le produit est tellement connu, que l'achat de ce vin obéit à des règles qui lui sont propres. Le vin a un cours, son prix est connu et les clients furètent dans les magasins à la recherche de la meilleure promotion, comme ils pourraient le faire pour leur bière ou leur soda préféré. Le vin a un nom, il s'achète par cartons, il ne fait l'objet d'aucune remise en cause. Le choix ne vient pas d'un conseil du professionnel, il est issu d'un bouche-à-oreille familial et amical au cours duquel lors d'apéritifs ou de repas, on a vanté les mérites de son rapport qualité-prix. Le vin est devenu une référence, il évite de connaître d'autres noms, de se poser des questions d'accord mets-vins, il se marie avec tout, un peu sucré, il convient aux apéritifs, au foie gras, il remplace le Sauternes, il va même sur la viande et le poisson.  Je suis toujours estomaqué en entendant tout cela et finalement bien que cette attitude semble étrange, je pense qu'elle relève d'un phénomène bien plus général que celui propre à cette marque, c'est le signe d'une évolution vers une simplification du goût pour le vin.

 

LA MARQUE et le GOÛT

 

On a pu parler à une époque de "parkerisation" du goût avec la mode de l'arôme grillé toasté dans toutes les bouteilles. Cela a conduit de fameuses marques à boiser à outrance leur vin même quand leur structure initiale aurait dû le leur interdire. Des Bordeaux vendus en supermarché ont alors tout misé sur des élevages de 6 mois en barrique de chêne américain. Peu importe le processus, ce qui compte c'est la simplicité du message. On inculque des idées simples au consommateur : aime le bois, aime le demi-sec, aime les fruits rouges et cela par le biais de marques qui l'illustrent génériquement . 

 

Ainsi naquit Tarriquet, Malesan et autre vins de Castel, de Gallo, de Freixenet ou autre mastodonte du négoce

Cette tendance insidieuse à concentrer des vignes dans des entités de plus en plus grandes conduit inexorablement à assembler des lots de plus en plus grands, à les traiter avec des procédés oenologiques de type industriel et à arriver à l'opposé de la logique "parcellaire", d'isolement du goût d'un lieu. Il ne s'agit pas de dire qu'un goût "particulier" est meilleur qu'un goût "commun" mais plutôt que le plaisir de la dégustation réside dans la découverte de ces nuances apportées par les différents tour de main et micro-terroirs. La vie est mouvement, reflet, dynamique, on veut la retrouver aussi dans le verre. Si la vigne conduit a produire quelques modèles type (le fruit rouge, l'odeur de buis, l'exotique, le boisé) , on finit par avoir l'impression produite par un piéton qui se ballade dans un centre ville fourmillant d'histoire et de particularités architecturales et qui s'aventure dans les avenues droites menant aux grands ensembles , aux immeubles aux formes de parallélépipèdes qui s'étirent sur des kilomètres de façon monotone et déprimante. 

C'est cela qui est en jeu, la dépression ! 

La diversité est la clé de la joie de vivre, la nature l'incarne dans sa structure même, elle qui ne montre jamais autant de vitalité que lorsqu'elle diversifie, mute, féconde.

Pour finir, je vous invite à lire ce superbe poème de Nerval, intitulé "vers dorés" qui  illustre la force et la puissance créatrice de la diversité.

 

Homme ! libre penseur - te crois-tu seul pensant

Dans ce monde où la vie éclate en toute chose :

Des forces que tu tiens ta liberté dispose,

Mais de tous tes conseils l'univers est absent.

 

Respecte dans la bête un esprit agissant : ...

Chaque fleur est une âme à la Nature éclose ;

Un mystère d'amour dans le métal repose :

"Tout est sensible !"- Et tout sur ton être est puissant!

 

Crains dans le mur aveugle un regard qui t'épie

A la matière même un verbe est attaché ...

Ne la fais pas servir à quelque usage impie !

 

Souvent dans l'être obscur habite un Dieu caché ;

Et comme un oeil naissant couvert par ses paupières,

Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres !

 

 


Mer de vigne en Nouvelle-Zélande (photo issue d'un blog de voyage intitulé breazaland) https://breizealand.wordpress.com/
Mer de vigne en Nouvelle-Zélande (photo issue d'un blog de voyage intitulé breazaland) https://breizealand.wordpress.com/

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