Du risque artisanal au risque industriel

Le monde artisanal n'est pas exempt de reproches ni d'inconvénients. Il est difficile d'acquérir pour des raisons de rentabilité de couteux matériels, qui permettent d'économiser du temps de main d'oeuvre ou de progresser dans la quête de la qualité. Une façon de contourner cette difficulté consiste à recourir à la prestation de service en louant le matériel dernier cri. De façon générale, la force du monde artisanal ne résidera jamais dans sa supériorité technologique mais bien au contraire dans la capacité à garder une implication personnelle dans la création du produit. Le nombre limité d'intervenants, la communication intense au sein des petites équipes, la proximité avec le client, l'adaptation à la demande et aux contraintes du milieu dans le cadre d'une activité agricole sont autant d'atouts. En revanche, le monde industriel nous a montré récemment à travers l'actualité des contaminations de lait infantile combien les promesses de perfection et de qualité totale peuvent conduire à l'exact opposé. Ayant visité lors de mes études une gigantesque usine d'embouteillage, j'avais été frappé par la profusion de papiers recouvrant les murs près des portes et sur les poteaux. En m'approchant, j'y avais lu des listes interminables de consignes qui devaient depuis bien longtemps avoir été oubliées mais qui étaient censées s'appliquer dans ce monde impersonnel des normes. Le témoignage d'un ami ayant travaillé dans l'industrie  m'a apporté la confirmation de mon intuition. Les cadres commerciaux sont parfois évalués sur la base du respect de procédures qui finissent par être déconnectées de l'objectif final qui est la vente ou la bonne exécution d'un contrat. Si l'on y réfléchit bien, le système du pense-bête dit bien son nom. Celles qu'on appelle désormais check-list mais qui ne sont  autre chose que des pense-bêtes, permettent théoriquement de faire exécuter par des personnes interchangeables des opérations sans risque d'erreur. Sauf que... sauf que, limiter son activité à vérifier que les cases d'une liste ont bien été cochées, dispense de réfléchir et finit même par réduire l'implication de l'opérateur dans l'action voire même son esprit de responsabilité. Quand une erreur est détectée mais qu'elle n'apparaît pas dans une liste que fait-on ? Si l'erreur vient d'un autre bout de la chaîne se sent-on concerné ? Si l'on a fait tout ce que l'on nous demandait de faire mais que malgré tout le produit est imparfait se sent-on responsable ?

Comment imaginer dans une entreprise artisanale qu"on puisse laisser sortir un produit mal fait ? Sauf à être incompétent ce qui conduit très vite à résoudre les soucis de clientèle, l'artisan se sent responsable de ce qu'il vend, il en est même souvent fier.

Il serait mensonger de garantir la qualité totale malgré tout avec les petites entreprises et pour la raison invoquée notamment au début de l'article liée aux difficultés d'acquisition de matériels. Il y a aussi l'erreur humaine qui est d'autant plus probable que la fabrication est assurée par l'homme et non la machine automatisée.

Etant vigneron, voilà où je veux en venir. Je ne peux pas promettre la perfection mais l'authenticité, pas le 0 défaut mais la franchise. Il m'est arrivé, il y a deux ans d'avoir un soucis de refermentation sur mes moelleux. Cela était dû à mes efforts liés à la limitation du soufre et aussi à une suroxygénation avant la mise. Cette faille ne remet pas en cause mes efforts par ailleurs, cela ne m'est arrivé qu'une fois et ce fut aussi bien économiquement que personnellement dur à accepter. J'ai fait tout mon possible pour échanger les bouteilles mais quelques personnes ont dû remarquer un léger pétillement sans m'en parler. Peut-être ne les reverrai-je plus... En tous les cas selon moi, la recherche de la bonne qualité ne sera jamais résumée une histoire de pense-bête (même si cela a parfois son utilité)  mais à un soucis permanent d'observation, d'attention aux petites choses anormales, aux incohérences. Le dialogue et la volonté de bien faire conduiront à s'adapter, à trouver des solutions non normées mais tout simplement efficaces. Il ne s'agira pas de plaire à son chef de service ou au contrôleur de l'organisme certificateur mais de se soucier en permanence du travail bien fait.

C'est cela l'esprit artisanal, accepter  la possibilité de l'erreur sans s'y résoudre et la ferme volonté de parachever son travail.

 

 

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