Des hommes sans terre et des terres sans homme.

Entre Aragon et Catalogne se glisse une région étroite s'étirant le long de la frontière régionale et parsemée de lacs artificiels ayant parfois engloutis villages et églises.

Cette zone s'appelle la Ribagorza côté castillan et Ribagorça côté catalan avec des spécificités linguistiques encore vivaces.

Bien que loin de la mer, cette partie de l'Espagne est plus sous l'influence méditerranéenne qu'atlantique. La campagne que j'ai eu l'occasion de parcourir à pied début mars est bien plus sèche et en manque d'eau que celle de l'autre coté des Pyrénées, où les bêtes broutent l'herbe hors de leur étable à la même période.

L'agriculture tient naturellement une place primordiale dans l'économie locale. La spécialité du chef lieu Graus est une délicieuse saucisse sèche (longaniza) que l'on retrouve dans tous les bars et restaurants de la région de Huesca.  Il y a donc des possibilités de production végétale et animale même si l'accès à l'eau reste un facteur vraisemblablement limitant.

Au cours d'une randonnée, j'ai eu l'occasion de déboucher sur une ancienne agglomération villageoise isolée sur un plateau calcaire dont le nom est Caballera. Son histoire témoigne d'un peuplement continu du XIème siècle jusqu'à 1970, date à laquelle l'exode rural saigna bien des communautés semblables en Espagne pour répondre à l'appel de la Ville.

La vie ne devait pas être facile, les pelouses maigres ne pouvaient pas nourrir une grande densité d'animaux mais néanmoins entre 10 et 100 personnes purent y vivre et y construire les maisons qui figurent sur la photographie.

A l'heure actuelle, il semble qu'une amorce de retour se dessine. Une ferme semble active et quelques maisons sont en cours de restauration pour en faire des maisons secondaires.

Il est toutefois étonnant que tant de terres pauvres certes mais cultivables soient laissées en friche. Quand on parcourt l'Espagne, peut-être plus qu'en France, on prend conscience de la valeur des bonnes terres arables. Tant de montagnes, tant de déserts , tant de marécages, tant d'espaces pelés sont impropres à la culture et finalement quasiment à la vie, qu'il semble que les endroits cultivables devraient être préservés comme autant de trésors.

La Grèce ou l'île de Pâques ont prouvé qu'en quelques siècles un mésusage des sols pouvaient leur être fatal.

Il est donc poignant de constater que ces villages inhabités n'ont pas encore été réhabilités au prix d'une politique volontariste afin de donner à la fois du travail mais aussi de préparer les défis alimentaires des prochaines décennies.  Les techniques modernes, les énergies renouvelables peuvent redonner à ces secteurs oubliés une nouvelle vie et une utilité dont nos sociétés risquent d'avoir grand besoin. A force de construire sur les meilleures terres des vallées fluviales où s'est fatalement accumulée la population, les surfaces à haut rendement rétrécissent d'année en année. En cela la vallée de la Garonne en est un piteux exemple. A défaut d'avoir réussi le défi de l'aménagement des territoires denses, il est encore possible de réussir celui des déserts humains ou presque. Bien des fermes pourraient redonner du sens à la vie de milliers de personnes tournant en rond dans des tours à la morne périphérie de nos somptueuses métropoles. Et que dire des paysans qui nous arrivent de pays en guerre ou des futurs réfugiés climatiques ? Ne pourrait-on pas se retrousser les manches et comme au temps des gavaches après la grande Peste Noire, repeupler les espaces vides ?

Pour prendre conscience de l'ampleur du phénomène des villages dans la seule région de Huesca, il est possible de consulter le site http://www.despobladosenhuesca.com/2017/10/caballera.html

 

 

 

 

 

 

 

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