Depuis mon théâtre de verdure

Bien qu'environné perpétuellement par les mêmes lisières au sein de la clairière de Manine, non seulement je ne me lasse pas de ce paysage mais encore je l'envisage comme un théâtre. Les décorateurs d'une vraie salle de spectacle parviennent au moyen de quelques artifices et par le jeu des conventions à faire prendre vie à des morceaux de bois, se transformant en montures, en arbres ou tout ce que la pièce impose. Dans l'espace clos de ma clairière, ce sont les saisons et les éléments météorologiques qui plongent le lieu dans une ambiance ou dans une autre au point de pouvoir penser qu'on est subitement parti ailleurs. L'exemple le plus frappant se produit à l'aplomb d'un orage quand d'immenses nuages gris et noirs formant d'immenses colonnes plongent les vignes dans une obscurité lourde de pressentiment. Les craquements et les éclairs annoncent une possible catastrophe et le temps suspendu peut alors bifurquer en de multiples potientialités. Le temps de l'eau, celui de la grêle, des bourrasques, tout est possible, rien n'est sûr avant de survenir. Ce spectacle angoissant laisse place bien souvent à un ciel pur et délavé, sans rien qui puisse laisser deviner le passé sinon quelques branches au sol et de l'herbe couchée. La clairière est un cadre fixe qui capte la lumière du couchant projetée sur le premier rideau d'arbres exposés à l'ouest et qui reflète les nuances chaudes et incandescentes du crépuscule. Ce cercle végétal imparfait limite mon regarde, il fixe l'étendue du travail à accomplir, à la mesure de l'énergie d'un corps disponible pour une année, pour une série de millésimes, pour une vie de vigneron. Parfois il se remplit pour les vendanges et voir autant de monde occuper l'espace habituellement si vide est toujours un étonnement. Cette occupation n'est que temporaire et quand l'hiver arrive, la scène se libère pour un long repos émaillé du bruit lointain des tronçonneuses.  Les journées courtes et froides sont rarement surprises par la neige, plus souvent par le givre qui transforme les fils en guirlandes irisées de glace. Les premières pousses printanières remettent de la couleur et le cycle théâtral peut reprendre son cours sans aucune sorte de lassitude.

 

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