Le chemin vers le vin doit être autant estimé que le vin lui même

Les vins s'achètent à tous les prix et chaque prix, à défaut de donner une indication claire du goût, fournit une information sur le mode d'élaboration. Un vin très bon marché ne peut pas être le fruit de beaucoup d'opérations manuelles, il est obligatoirement issus de vignes produisant à plein rendement chaque année donc avec son corollaire de dopage du sol à grand coût énergétique et de traitements généreux pour garantir les objectifs de récolte. Ainsi un vin peu cher peut-il être correct et buvable sans être désirable du point de vue sociétal. Le consommateur pourra arbitrer s'il n'a pas de grands moyens en buvant moins mais mieux comme cela peut se faire en mangeant  peu de viande mais issue d'élevages non industriels et donc plus chère.. 

A l'opposé les vins dits "iconiques" dont on peut attendre une haute qualité, sont aussi traversés par les démons de notre époque. La part des coûts de production dans le prix final est très minoritaire, l'essentiel est constitué de frais commerciaux à grands renforts de kilomètres en tous genres (commerciaux en voiture, en avion , salons professionnels, réceptions, repas de prestige, confréries etc...), publicitaires (panneaux dans les aéroports, pages dans les hebdos généralistes et la  presse spécialisée), d'investissements dans le foncier censé rendre le vin désirable par de belles photos et de belles visites stéréotypées. Le vin cher a longtemps été le réceptacle des dernières molécules hors de prix inventées par l'industrie chimique et encore exemptes de phénomènes de résistance. Les plus grands crus ont donc souvent été généreusement traités dans la mesure où le coût des produits phytosanitaires n'avait que peu d'incidence dans le prix final consommateur tandis que l'effet de protection était censé garantir les bénéfices. Ce phénomène s'atténue car la vertu écologique étant à la mode, la débauche de moyens a trouvé un nouveau réceptacle dans les labellisations multiples pour se montrer exemplaire. Pour assurer ces mutations de nombreux matériels sont achetés, des consultants de renom monnayent leurs conseils. L'idée générale reste qu'avec de l'argent on y arrive toujours et c'est entièrement vrai.

 

Oui mais ... le modèle qui pourrait se dessiner et qui semblerait plus équilibré et généralisable serait plutôt celui de la viticulture familiale qui existe encore et qui résiste malgré la pression des investisseurs institutionnels préemptant les propriétés les plus prestigieuses. Dans ce système, les générations s'entraident, les retraités tiennent encore les stands sur les salons, les jeunes effeuillent pendant leurs vacances et ceux qui sont aux manettes se débattent pour trouver des solutions chaque année. Ces domaines produisent des vins honnêtes, pas toujours les mieux notés mais faits avec de l'imagination, du courage et de l'obstination et toujours avec des prix décents. C'est le modèle des "vignerons indépendants" dont les salons ont su fidéliser une grande clientèle soucieuse de proximité et d'échange. 

 

Un autre modèle compatible avec le précédent est celui que je poursuis. Il se trouve que je  travaille seul même si j'ai été fortement soutenu par mes parents, ce qui est possible sur une petite surface de 7 ha. Mon objectif est de produire avec peu de moyens mais en observant beaucoup et en cherchant des pistes pour rendre la terre suffisamment fertile par elle même pour se passer de la majeur partie des amendements traditionnels. Cela s'appelle l'agroécologie et peut aussi s'envisager avec l'agroforesterie.

 

L'idée principale est de travailler le moins possible les sols pour retrouver des équilibres proches de ceux d'une prairie permanente et sans se laisser envahir par les ronces et les chênes non plus. Le bio aide à entamer cette démarche mais elle pourrait être envisagée aussi avec un peu de chimie. J'ai opté pour le bio depuis 2017 et ne le regrette pas même si le prix à payer en période d'apprentissage est lourd de conséquences économiques. Dans mon système, le prix ne peut pas être modique, je refuse qu'il soit prohibitif et ce même si le gel frappe durement depuis 5  ans. Le prix est aussi le reflet de ce que l'on partage la même vie que celle de ses clients. En gros, je pourrais être le client de mes vins.

 

Ainsi, l'idée que je voudrais transmettre est que la façon d'arriver au vin devrait être prise en compte par le consommateur. L'étiquette ne dira jamais tout et même le vin en lui même ne traduira pas tout le cheminement. Le vin n'a pas le goût du futur de ma vigne et pourtant quand je produis aujourd'hui, je veux qu'en germe, le vin produit dans 20 ans soit encore bon, que mes pieds de vigne soient encore vivants, que mon sol ne soit pas épuisé et stérile. Je travaille pour moi et pour mes successeurs. 

Au présent, je veux limiter mon impact énergétique sans climatisation mais avec de l'ombre, sans matériel nouveau mais en utilisant différemment le parc actuel, je veux limiter le gel et les canicules par des haies et des galeries d'arbres fruitiers, je veux arrêter les transports d'engrais venus de loin et me contenter d'apports locaux de fumiers et de la généreuse matière organique fraîche qui pousse spontanément, je veux me contenter du rendement résultant de ces équilibres en souhaitant que cela assure ma subsistance. J'y arriverai comme tant d'autres qui ont le même esprit dans les grandes cultures, l'élevage ou le maraîchage si la reconnaissance du public pour cet effort est réelle et si le chemin vers le vin est aussi estimé que le vin lui même.

 

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