
Les étés chauds préparent de beaux millésimes, spécialement à Bordeaux où le climat océanique a jusqu’à récemment pu apporter trop d’eau en fin d’été. Il est pourtant difficile de se réjouir quand les températures pendant des cycles de presque une semaine parfois répétés à intervalle bi-mensuel dépassent les 35 degrés pour atteindre désormais sans surprise plus de 40. A ces niveaux de chaleur et de rayonnement, en dépit d’une disponibilité d’eau libre pour les plantes profondément enracinées et bien connectées aux réseaux fongiques sous-terrains, les cellules superficielles des feuilles et des fruits soufrent. Il peut en résulter brûlures, dessèchements et au mieux arrêt fonctionnel de la photosynthèse et donc de la progression harmonieuse du cycle végétatif annuel.
La vigne, plante pérenne est malgré tout mieux adaptée que bien des cultures annuelles à ces amplitudes extrêmes. Elle préservera généralement sa capacité à renouveler une pousse l’année suivante avec des bourgeons fertiles. Néanmoins, on commence à observer que placée dans un environnement trop hostile plusieurs années consécutives comme cela fut le cas dans certains secteurs des Pyrénées orientales, les plants peinent à produire des fruits de taille convenable et assurent tout juste leur survie. De surcroît, l’environnement forestier également desséché devient sensible aux incendies et un cercle pernicieux se met en place où les feux détruisent ce qui contribuait peu ou prou à climatiser l’air ambiant et à faire tomber la pluie (cf l’homme qui plantait des arbres de Giono ) . La vigne ultime rempart de la propagation des flammes en subit toutefois les outrages et il devient difficile alors à l’homme de poursuivre la viticulture pour des raisons économiques (brûlures, goût de fumée) .
Voilà que je décris peut-être de manière trop sombre ce qui n’est encore vécu que par une minorité de parcelles à l’échelle nationale. Je vais donc me limiter à rendre compte de l'évolution depuis 21 ans dans mon vignoble si petit désormais avec ses 6 hectares que j’en connais chacun des rangs et des infimes particularités.
Dans les années 80-90 mon prédécesseur travaillait les sols de mars à octobre, il devait ouvrir l’espace central des fonds (espace entre deux rangs) à l’aide d’un coutre après les vendanges pour permettre à l’eau de s’évacuer et d’éviter ainsi des asphyxies et des pourrissements. Des veines d’argile grise par endroit maintenaient des excès d’eau à faible profondeur et cette pratique d’ouverture d’un sillon central avait fait ses preuves. En arrivant en 2004, n’ayant pas connu tout l’historique hivernal des décennies précédentes, je me suis abstenu de mettre en place cette pratique et je n’ai eu de soucis que rarement et uniquement les premières années. Il m’est arrivé de « planter « le tracteur dans un rang sans doute par excès de travail du sol sur une terre saturée d’eau en surface. L’évolution de mes pratiques limitant progressivement le travail du sol pour arriver à le supprimer totalement en 2019 ainsi que l’élévation des températures hivernales ont peu à peu rebattu les cartes. Les secteurs régulièrement inondés en bout de rang durant un ou deux mois l’hiver ne présentent plus que rarement quelques flaques tenaces. Cela témoigne à la fois de la nécessité de s’adapter à la nouvelle donne météorologique mais aussi du fait que le trop plein d’eau n’est plus un soucis. En laissant la terre couverte en permanence, il ne s’agit plus de chercher à évacuer l’eau au plus vite vers les fossés mais au contraire de chercher à infiltrer le plus d’eau possible dans le sous-sol via la porosité structurelle et via les racines, les galeries de vers et de petites mammifères. En dépit de cela le régime des pluies tend à augmenter au printemps mais les températures élevées dès le mois de mai en restituent l’essentiel dans l’atmosphère générant au passage de terribles épidémies de mildiou. Cette nouvelle donne impose de nouvelles pratiques. Jusqu’à présent, il reste possible de cultiver la vigne en Gironde mais avec une irrégularité des rendements qui sur le temps long ne peuvent que baisser. L’évaporation accrue causée par l’élévation de la température annuelle conduit à limiter l’eau disponible. Les épisodes caniculaires aggravent ce phénomène mais ils ne sont que l’expression caricaturale d’une réalité désormais chronique. Les sols peu à peu s’assèchent plus profondément et plus précocement. 2024 fut dans ce cadre là une année atypique qui permettra sans doute à 2025 de tirer son épingle du jeu comme 2021 permit à 2022 de sortir un peu de jus de grappes rôties tout l’été avec plusieurs jours à 42 degrés.
Ces millésimes chauds et peu productifs restent des bénédictions après des années de gels de printemps ou de ravages par le mildiou mais je ne peux pas ne pas envisager qu’à une année de chaleur extrême succède une autre tout aussi excessive et alors les réserves en eau ne suffiront peut-être plus pour remplir convenablement les raisins et les adaptations culturales n’y suffiront plus.
L’agroforesterie par la présence d’arbres au plus près des vignes est censée apporter ombre et ressources hydriques aux parcelles mais mise en place trop tard les plants nécessitent de nombreux arrosages pour arriver à devenir autonomes. Le travail à accomplir est donc titanesque, il va demander persévérance et même obstination sans garantir in fine que cela suffise.
Des articles scientifiques glosent sur la remontée de la culture de la vigne plus au nord, ce qui ne peut en effet qu’arriver. Il reste à prouver que la disparition de la vigne au sud n’est pas inéluctable et qu’une adaptation est encore possible. Les meilleures terres à vigne ne sont de toute façon bonnes que pour des cultures pérennes ; l’arbre peut sauver la vigne, encore faut-il vite trouver quels essences sont les mieux indiquées. Rien n’est encore compromis, on se plaît à y croire, la chance et les bons choix ne seront jamais en surnombre pour faire face au nouveau climat.